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Flexibilité d’une organisation
Janusz Bucki
Etant donné l’évolution actuelle du contexte économique dans lequel opèrent les entreprises, l’adoption de l’organisation flexible s’affirme de plus en plus comme une nécessité impérieuse. Les expérimentations pratiques, de fait, sont nombreuses. Mais on manque encore d’un ensemble de concepts homogène pour appréhender un système flexible de production et prédire sa capacité d’adaptation.
Etre flexible, d’après le dictionnaire Larousse, c'est « pouvoir varier à volonté en fonction des besoins ». La flexibilité est une capacité d'accommodation réversible à la situation par opposition à l'évolution qui, elle, est irréversible. Cette notion reflète l'aptitude à rester opérationnel dans des situations changeantes, prévisibles ou non, sans pour autant qu'elles soient radicalement différentes des situations connues d'avance. Cette faculté d'accommodation est exigée des entreprises qui, pour des raisons économiques, adoptent les organisations et les gestions efficientes de type zéro stock, juste-à-temps, gestion en flux tendus, ... venant les fragiliser.
LA PERCEPTION DE LA FLEXIBILITÉ
Les auteurs ayant travaillé sur la notion de flexibilité distinguent la flexibilité statique, définie par rapport à un environnement stable, de la flexibilité dynamique, définie par rapport à un environnement perturbé. C’est la seconde qui pose le plus de difficultés. En effet, la concurrence amplifie l'évolution du marché en créant plus de situations nouvelles. Cet aspect, combiné aux techniques d'organisations mentionnées ci-dessus, réduit la robustesse de l'entreprise. L'impact d'un imprévu se propage immédiatement à travers la structure du fait de la tension accrue des maillons de coordination.
Les sources d'imprévus ou d'aléas potentiels le plus souvent citées sont :
· Le renouvellement accéléré des séries fabriquées : il s'agit, là, d'exigences de marché - personnalisation des produits, changement de
la gamme.
· Les anomalies de fonctionnement : panne, grève, ... créant les ruptures de stocks et par conséquent l'arrêt de production.
Ces aléas sont potentiels mais quasiment inévitables. Pour rester malgré tout opérationnels, les dirigeants cherchent des solutions permettant d'assurer la continuité du fonctionnement dans toute situation.
Les entreprises longtemps fonctionnaient dans un contexte où le marché, du fait de la rareté des biens offerts, était prêt à absorber tous les produits et services proposés, pour peu qu'ils soient cohérents avec la demande. Dans cette situation, l'existence des stocks est un facteur essentiel garantissant la continuité du fonctionnement. La création des stocks se justifie par la certitude de pouvoir les écouler. Le contexte économique actuel nous éloigne du conflit de rareté et nous ôte cette certitude. La protection par les stocks devient elle-même facteur de risques. Cette remise en cause de la production sur stock conduit vers la production en juste à temps. Du moment où c’est la demande qui déclenche la fabrication d’un produit, le produit devient alors le service. D’autre part, ce type de fonctionnement rend le système de production plus vulnérable. Il fallait donc opposer à l'organisation de production classique, efficace mais qui engendre, dans ces circonstances, un fonctionnement coûteux, une organisation nouvelle, efficiente, plus délicate à mettre en place mais capable de s'adapter continuellement en optimisant le délai et le coût de la mutation. Ainsi le concept d'organisation flexible a t-il vu le jour.
L'entreprise flexible, en tant que système réactif de production, est ressentie davantage à travers des réalisations limitées aux ateliers que par une approche théorique, malgré les travaux conceptuels menés dans ce domaine. Le système flexible de production cherche toujours sa définition ainsi qu'un ensemble homogène de concepts permettant de le concevoir et de prédire sa capacité d'adaptation.
Le concept d'atelier flexible, comme système de gestion et de contrôle de la production, est né dans ces circonstances comme réponse aux problèmes de :
· fonctionnement de l'entreprise en flux tendus,
· modulation de la production liée à de courtes séries fabriquées,
· l'amortissement des équipements dans ce contexte.
Quels sont donc les facteurs prédominants de la flexibilité ? Les ignorer risque de mener à l'échec dans la conception et la gestion des systèmes flexibles de production. D’où vient la rigidité constatée dans la mise en oeuvre de tels systèmes, rapportée dans les témoignages dont nous disposons à l'heure actuelle ? En effet, l’interprétation adéquate de la flexibilité est aussi importante pour les ingénieurs que pour les gestionnaires.
L'ATELIER FLEXIBLE
La présentation de l'atelier flexible de Renault Bouthéon proposait la définition suivante : "C'est un système de production entièrement automatisé permettant de concilier productivité et flexibilité pour des pièces de petite et moyenne série. La gestion de tels ensembles est assurée par un ordinateur qui pilote, dans le délai le plus court possible, la totalité de l'atelier en optimisant aussi bien la production que le taux d'engagement des machines tout en offrant une très grande souplesse d'adaptation." En dehors des machines, le système d'information constitue donc une partie intégrante d'un tel atelier et il joue un rôle prépondérant dans l'ordonnancement et la conduite des moyens de production. Ce système d'information dépasse largement la notion de base d'information comptable. Il intègre l'ensemble constitué par les informations techniques et les informations de gestion.
Les deux acceptions suivantes sont associées au concept de flexibilité :
· la flexibilité en volume, qualifiée de « flexibilité opérationnelle » par R. Reix, les volumes à fabriquer peuvent évoluer en quantité dans le temps par la mise en place progressive des équipements propres à ajuster le mieux possible la montée en cadence. Elle intègre la flexibilité de la gestion des stocks, correspondant à la capacité d’une commutation rapide d’une référence à l’autre, afin de diminuer la longueur des séries engagées et donc des stocks. L’enjeux économique se situe dans le contexte de l’optimisation entre le temps d’ajustement garanti par l’excédent de capacité et de potentialités de fabrication et le coût d’évitement de cette capacité et de ces potentialité ;
· la flexibilité en produit, qualifiée de « flexibilité stratégique » par R. Reix, correspondant à la faculté d'accepter des modifications ou des évolutions de conception des produits.
Ces deux acceptions se référent à la demande. La première correspond aux conséquences de l’organisation juste à temps dans le contexte de la stabilité, l’atelier flexible intégrant, dans son organisation et son fonctionnement, les impacts de la modification des niveaux d’activité. Cette flexibilité peut être qualifiée de statique, car elle n’intègre pas d’évolution du système d’information associé.
La seconde correspond à la réponse la plus rapide possible à la demande de la clientèle qui est très volatile à l’heure actuelle. Cette flexibilité peut être qualifiée de dynamique, car elle implique réactivité et modification du système d’information du fait de la nécessité de faire évoluer les produits, de multiplier les variants ou d’en créer de nouveaux.
La prise de conscience des problèmes évoqués ici impose de trouver une démarche qui permettrait d'identifier les éléments significatifs qui font que l'on puisse qualifier toute l'organisation d'un atelier ou d'un service comme étant flexible, quelle que soit l’acception retenue. Elle devrait déboucher sur la conception des structures dotées d'une facilité d'adaptation rapide par opposition aux rigidités qui existent dans une structure classique considérée comme non flexible.
Comment conçoit-on aujourd'hui la flexibilité ?
Les conceptions actuellement répandues font appel à une modélisation assez compliquée. Cette modélisation cherche à prendre en compte, a priori, toutes les situations possibles aussi bien pour les outils que pour la gestion. Ceci est impossible à concevoir, car le modèle, dans ce cas, devient, par nature, plus compliqué que la réalité. S'il était réducteur, il y aurait alors des difficultés de recomposition des outils et des tâches face à des situations non prévues. C'est pourquoi l'atelier flexible a été d'emblée conçu comme accumulation de machines polyvalentes, la « prothèse technique » devant pallier les impossibilités de tout prévoir a priori. Ce choix judicieux, au niveau des machines, a été effectué pour des nombreuses réalisations. Mais partout les observateurs s'accordent pour affirmer que le coût de transition d'un profil de fabrication à un autre reste relativement élevé. Cela peut s'expliquer par l'existence d'une rigidité non souhaitée, car, si l'accent est mis sur les machines, il manque, au-delà de ces réalités palpables, la réalité organisationnelle de l'atelier flexible.
Les solutions pratiquées se caractérisent par :
· un grand degré d'intégration des tâches, par la création de machines polyvalentes, ce qui donne des îlots de complication d'autant plus
fragiles et difficiles à gérer ;
· la mise en correspondance de ces machines avec, pour hypothèse, l'obtention de la polyvalence globale à partir des polyvalences locales ;
· une gestion de production assistée par ordinateur permettant une redéfinition des affectations des sous-systèmes de production en fonction
des objectifs de fabrication.
L'atelier flexible représente alors un ensemble intégrant des outils "high tech" et un système d'information. Cet ensemble est considéré, dans sa globalité, comme une machine polyvalente. Sa polyvalence globale est, pour sa part, censée être garantie par la polyvalence des sous-systèmes qui le constituent. Or, l'agrégation des polyvalences élémentaires ne vaut pas polyvalence globale, et peut, a contrario, introduire des rigidités non attendues, ce qui explique un certain nombre de déceptions observées lors de la mise en place d'ateliers flexibles. C'est ce que souligne P. Messine dans son ouvrage "Les saturniens" en apportant le témoignage d'Harley Shaiken, chercheur au Massachussetts Institute of Technology. "Les systèmes manufacturiers hautement automatisés et flexibles existant actuellement ne fonctionnent presque jamais comme leurs concepteurs l'avaient prévu. Généralement, l'intervention humaine nécessaire est beaucoup plus importante que ce qui avait été initialement envisagé. Les périodes de démarrage s'avèrent beaucoup plus longues que prévu."
Il s’agit ici de la notion de flexibilité, statique et dynamique, en se positionnant, avant tout, par rapport à la façon de récupérer les aléas, ce qui constitue toujours le problème essentiel. En effet, la flexibilité s’exprime dans la capacité à adapter les comportements aux besoins.
FINALITE GENERALE ET FINALITE FACTORIELLE
Tout système de production peut être perçu comme une concaténation d'activités où chaque poste de travail peut être considéré comme une activité à part entière. Dans un atelier flexible, il est important de savoir comment elles s'intègrent, quelles sont les jonctions qui existent entre-elles. Les deux notions de finalité générale et de finalité projetée permettent de caractériser ce type de jonctions.
Suivant l’approche B-ADSc, toute activité s'identifie par sa finalité. Cette dernière englobe donc l'ensemble des objectifs que l'activité est susceptible de reconnaître et d'assumer.
La finalité d'un homme, vu comme une activité, est de travailler, vivre, communiquer, s'amuser, ... La finalité d'une automobile est, dans ce contexte, d'être moyen de transport, engin sportif, pièce de collection, jouet, ... La finalité d'un bras de robot sera de positionner et manipuler un outil.
Cette finalité, dite générale, est propre à l'activité et ne dépend pas de la structure qui l'intègre. L'activité, une fois réintégrée dans une structure, sera tributaire de la finalité projetée par celle-ci, dite finalité factorielle. La finalité factorielle est un sous-ensemble de la finalité générale d'une activité et elle englobe l'ensemble des objectifs qui lui seront validés durant le fonctionnement.
Une voiture utilisée par un pilote de course va se caractériser par une autre finalité factorielle que la même voiture utilisée communément. La finalité factorielle du bras de robot sur une ligne de montage peut-être de serrer les vis même s’il est capable a priori d’effectuer d’autres manipulations.
Finalité générale - Finalité factorielle :
La jonction entre une activité et sa structure d'accueil passe toujours par la superposition de la finalité générale de l'activité et de la finalité factorielle projetée par la structure d'accueil. La structure d'accueil, elle-même, est une activité se positionnant au niveau hiérarchique supérieur.
Une organisation vue comme une hiérarchie opérationnelle d'activités :
POLYVALENCE, FLEXIBILITE APPARENTE, ACTIVITE DEDIEE
Dans la mesure où, dans un atelier flexible, le réassemblage des activités est fréquent et passe par l'établissement dynamique de jonctions entre ces dernières, il est utile de clarifier ici les trois notions de polyvalence, flexibilité apparente et d'activité dédiée. Elles permettent, en effet, de caractériser la nature des jonctions. Les approches actuelles ne proposent pas de définitions précises de leur contenu ce qui engendre souvent une confusion dans l'utilisation de ces termes.
La polyvalence devrait être perçue comme la possibilité de remplir plusieurs fonctionnalités indépendamment du fait de savoir si elles seront réellement sollicitées par un utilisateur. En dehors d'une structure d'accueil, une activité dont la finalité générale englobe plusieurs finalités factorielles bien identifiables est qualifiée de polyvalente. Cette polyvalence donne les indications sur ses utilisations potentielles. Dans cette optique, la polyvalence est donc jugée a priori.
La finalité générale d'un radio-réveil comprend trois sous-finalités qui sont d'indiquer l'heure, de diffuser les émissions radio, de diffuser la sonnerie à une heure donnée. Cet appareil sera alors qualifié de polyvalent. Une machine outil évoluée peut remplir différentes fonctionnalités : percer des trous, cisailler des rives, ... Elle aussi peut alors être qualifiée de polyvalente.
La polyvalence a priori, en général, est obtenue par l'intégration de différentes fonctionnalités correspondant aux différents objectifs dans une seule activité. Si cette intégration s'effectue par simple juxtaposition des fonctions, elle ne peut être considérée comme efficiente. On ne peut considérer qu’une intégration est véritable que si des ressources communes sont mises en place. Ce partage des ressources augmente la complication de l'ensemble et crée, de ce fait, des problèmes de fiabilité étant donné la plus grande sollicitation des moyens partagés.
Dans un combiné radio-cassette, l'alimentation est commune ce qui caractérise une vraie intégration. Si elle tombe en panne, l'utilisateur est aussitôt privé de ces deux fonctionnalités. Cette situation est assimilable à une machine outil participant à deux profils de fabrication : corps de moteur, boite de vitesses. Si elle tombe en panne, la fabrication des deux types de produits s'arrête.
La flexibilité apparente s'appréhende à travers les rapports qui existent entre la finalité générale d'une activité et la finalité factorielle projetée par sa structure d'accueil. Elle permet d’obtenir la flexibilité précédemment qualifiée de statique. La différence entre la finalité factorielle projetée par une structure d'accueil sur une activité et sa finalité générale, quantifie la flexibilité apparente de la jonction entre les deux.
La notion de flexibilité apparente ne s'applique pas à l'activité elle-même mais à son articulation avec une structure d'accueil.
Si l'on considère un automate avec sa bibliothèque de programmes, cet automate sait faire autant de séquences que sa bibliothèque en contient. Il est donc polyvalent a priori. Intégré dans une structure, la différence entre les séquences réellement sollicitées et celles qui ne le sont pas, caractérise la flexibilité apparente.
L'égalité entre la finalité générale et la finalité factorielle d'une activité, en l'occurrence d’une machine, caractérise les activités dédiées.
La qualification activité dédiée ne possède de signification que par rapport à sa structure d'accueil.
Une activité s'intègre dans une structure en créant la jonction dédiée ou avec flexibilité apparente suivant la plus ou moins grande latitude qui peut exister entre sa finalité générale et la finalité factorielle projetée par cette structure. Pour que cette intégration soit possible sans être régressive pour l'ensemble, il faut qu'il existe, au pis, égalité entre les finalités, factorielle et générale, c'est-à-dire que l'activité soit dédiée.
Un atelier de fabrication mécanique est jugé polyvalent a priori dans la mesure où il est susceptible de produire toute une gamme de pièces.
Cet atelier intégré dans une usine automobile devient dédié si cette gamme appartient à l'ensemble des pièces détachées d'un véhicule. Dans cette situation, la finalité projetée par l'usine recouvre sa finalité générale.
Les solutions actuelles ont tendance à résoudre le problème de la flexibilité par la polyvalence a priori qui anticipe sur les besoins possibles en ménageant une réserve de fonctionnalités, c'est-à-dire en créant la flexibilité apparente au niveau des équipements. En est-il de même en ce qui concerne les activités du système informatique ?
Les méthodes de conception actuelles privilégient la transmission aux ordinateurs du savoir-faire au sens fonctionnel du terme. L'ordinateur, dans cette optique, est susceptible d'exécuter une suite d'opérations dont l'enchaînement est prédéfini de façon exhaustive. La prise en compte de la spécificité des informations de gestion y est quasiment absente.
Polyvalence a priori, flexibilité apparente, activité dédiée, et insuffisance :
LA FLEXIBILITE EST-ELLE CONCEVABLE PAR LA POLYVALENCE ?
La conception et, par la suite, la réalisation d'une organisation flexible consiste à définir l'ensemble de ses activités et des jonctions possibles pouvant s'établir entre elles. Dans une configuration donnée, on obtient une hiérarchie d'activités. Chacune de ces activités est mobilisée par la finalité factorielle qui sera projetée sur elle par la structure d'accueil, activité hiérarchiquement supérieure.
Le choix portant sur des moyens polyvalents découle d'une anticipation sur les besoins. Si cette prévision se révèle exacte alors le système conçu donne une apparence de flexibilité étant donnée la réserve de fonctionnalités liée à la polyvalence des moyens. C'est le cas de la mise en réserve des fonctionnalités de machines outils permettant de fabriquer d'autres profils de pièces. Dans le contexte d'une évolution rapide des conditions de fonctionnement, la validité des prévisions est généralement faible et les fonctionnalités en réserve risquent de ne pas être utilisées. L'utilisation des moyens polyvalents permet d'obtenir une certaine flexibilité du système dans le cadre du prévisible, donc une flexibilité statique, mais pas de flexibilité dynamique. Ce type de démarche appliqué dans la conception des organisations flexibles repose sur la perception a priori des références qui devront être produites. Les illustrations de cet aspect figurent dans le témoignage de Venkatesan.
Rapports des finalités durant la vie
du système :
FLEXIBILITE, POLYVALENCE ET APPRENTISSAGE
La distinction entre prévisible mais non prévu et imprévisible est fondée par la base de connaissances et le retour d’expérience. Le prévisible non prévu couvre les cas pour lesquels il est possible d’anticiper le comportement à partir des connaissances acquises, tandis que, pour l'imprévu, les connaissances acquises, en général, sont insuffisantes pour pouvoir définir un comportement. L’organisation flexible devrait être, avant tout, capable de faire face à ce deuxième type de situation comme le montre Venkatesan. S'accommoder à une telle situation nécessite l'acquisition de connaissances nouvelles ayant trait à l'ordonnancement approprié des moyens en fonction, entre autres, des prévisions économiques. L'apprentissage augmente la finalité générale d'une activité, donc sa polyvalence a priori et, par capitalisation de connaissances, son savoir-faire. Il s'effectue au niveau des activités du système d'information, rarement à celui des machines. C’est ce qui bloque le développement de la flexibilité dynamique des systèmes hautement automatisés.
Il est alors possible de considérer la flexibilité comme la faculté d'apprentissage.
Apprendre signifie enrichir sa base de connaissances opérantes. La notion de disponibilité des connaissances permet d'en déterminer une typologie, essentielle dans la structuration de la partie informatique d'un système de production.
Les connaissances elles-mêmes peuvent être regroupées en trois classes :
· les connaissances explicites, c'est-à-dire disponibles immédiatement ; un gestionnaire possède toutes les connaissances explicites concernant la réalisation des documents comptables, un ouvrier possède toutes les connaissances explicites concernant l'exécution des tâches qui lui sont confiées.
· les connaissances implicites pouvant être obtenues par une réflexion déductive ou inductive à partir des connaissances explicites : le service comptabilité, à partir des connaissances explicites sur l'état de l'entreprise et les connaissances propres au métier comptable, est capable de déduire l'état de trésorerie de son entreprise. A partir des opérations élémentaires gérées par un atelier flexible, il est possible d'en déduire la méthode de fabrication d'une référence donnée.
· les connaissances inaccessibles, impossibles à déduire du champ des connaissances acquises.
La classification des situations évoquées ci-dessus est en bijection avec la classification des connaissances : les connaissances explicites correspondent aux situations connues, les connaissances implicites aux situations prévisibles et les connaissances inaccessibles aux situations imprévisibles.
Les seuls agents se caractérisant, aujourd'hui, par une aptitude à l'apprentissage sont l'homme et l'ordinateur, car ce sont les seuls à être dotés de la mémoire, laquelle est un facteur indispensable à l'apprentissage. Dans ce contexte, nous considérons que l'ordinateur tel qu'il est fourni par le constructeur n'est pas une machine polyvalente mais une machine flexible. Du fait de sa structure interne, il est possible de lui transmettre des connaissances véhiculées par les programmes informatiques. Son apprentissage se réalise par le chargement de ces programmes en mémoire. Ce n'est qu'en fonction des programmes chargés que l'ordinateur peut être considéré comme polyvalent. Cela illustre que la polyvalence d'une activité (homme, machine) est fonction de ses connaissances, de sa mémoire, de ses capacités à apprendre et non de sa nature. Une activité peut être conçue comme polyvalente et non flexible si elle n'est pas capable d'apprendre. C’est en ce sens que l’on perçoit l’atelier flexible comme doté des machines « intelligentes », cette intelligence provenant en fait du système d’information.
La caractéristique prédominante d'une structure flexible est sa capacité d'apprentissage nécessitant la mémoire.
C'est grâce à ces deux éléments : mémoire et aptitude à apprendre, qu'une organisation flexible est capable de se modifier continuellement et de façon réversible. L'évolution d'un système de production classique est en général irréversible. S'il peut être considéré comme flexible, c'est grâce à la mémoire des hommes et leur faculté d’apprentissage.
L'apprentissage permet d'accroître
la finalité générale :
Dans les réalisations actuelles, on privilégie généralement l'aspect de polyvalence a priori des machines en négligeant l'aptitude à apprendre du système informatique. L'apprentissage accroît la finalité générale de l'organisation et il est seul garant de sa flexibilité réelle. Ceci explique, pour les ateliers flexibles, la situation observée par H. Shaiken cité au début de cet article qui soulignait l'importance de l'intervention humaine.
Il est important de noter ici que l'apprentissage s'effectue toujours dans un temps différé de celui du fonctionnement. Le fait que l’apprentissage soit, en quelque sort, délégué au système d’information, provient des exigences de la gestion en temps réel - flexibilité dynamique, soulignées dans toutes les réalisations industrielles.
Le but de l'apprentissage est :
· d'enrichir les connaissances existantes afin de pouvoir résoudre les problème de pilotage dans des situations nouvelles,
· de substituer à des connaissances périmées des connaissances plus pertinentes.
Tout ce qui est mis en mémoire doit être structuré autour de connaissances aisément manipulables, rendant l’ordonnancement des décisions plus efficace possible. Ce qui signifie que les techniques fonctionnelles de conception de systèmes d'information, utilisées actuellement dans la réalisation du logiciel, sont mal adaptées au contexte des organisations flexibles.
Les approches issues de la conception à « objets décisionnels » constituent aujourd'hui une alternative prometteuse à condition qu'elles arrivent à mettre en évidence et à intégrer la notion de connaissance, d’apprentissage ainsi que les différents modes de résolutions des problèmes.
ORGANISATION FLEXIBLE COMME SOCIETE DE SERVICES
Il existe aujourd'hui deux types d'activités économiques qui peuvent coexister au sein d'une même entreprise :
· celles qui fournissent des prestations-produits comme un atelier de fabrication
· celles qui fournissent des prestations de services comme une SSII - Société de Services en Ingénierie Informatique.
La pérennité d'une prestation-produit repose sur un parc de machines, le savoir-faire des hommes et leur amortissement, c'est-à-dire des séries de fabrication suffisamment longues. Son évolution passe par l'acquisition et la mise en place de nouvelles techniques de fabrication, ce processus étant le plus souvent irréversible. Les réserves de capacité et de fonctionnalités sont donc les seuls garants de leur flexibilité - flexibilité statique.
La pérennité d'une prestation de services repose sur les connaissances et plus accessoirement sur un parc de machines. Dans le contexte d'une société SSII tout comme dans celui d'un atelier flexible, les longues séries sont exclues. Ce sont les connaissances maintenues dans les mémoires des acteurs qui constituent leur valeur réelle - flexibilité dynamique. Ce qui pose trois problèmes :
· l'aptitude à l'apprentissage dans des délais "raisonnables", par l’intégration de connaissances nouvelles et plus pertinentes que les
précédentes, pour rester en relation avec l'enjeu économique,
· la possession de la mémoire, support de connaissances, nécessaire à leur capitalisation au niveau de l’entreprise, qu'elles se rapportent
à la gestion ou à la technique.
· l'exploitation des connaissances acquises durant le pilotage des processus - l’ordonnancement des décisions.
Aujourd'hui, les connaissances sont davantage véhiculées par la mémoire des hommes. Le turnover entraîne la volatilisation des connaissances et du retour d’expérience, dommages irrécupérables pour une société de services, très vulnérable à ce phénomène.
De ce fait, l'atelier flexible possède davantage les caractéristiques d'une prestation de services que celles d'une prestation-produit. Ainsi, les problèmes qui restent à résoudre, aussi bien dans le contexte d'un atelier flexible que dans une société de services sont :
· la maintenance et l'exploitation des connaissances,
· l'appropriation, par la structure, des connaissances indépendamment de la rotation du personnel.
LES FACTEURS DETERMINANTS D’UNE ORGANISATION FLEXIBLE
Cette réflexion conduit à la conclusion que les caractéristiques prédominantes d'un système flexible sont :
· la mémoire non volatile de son expérience,
· la faculté d'apprentissage.
La seule possibilité de réagir aux imprévus est d'acquérir des connaissances et de les rendre opérantes en les transférant aux activités, ce qui permet de passer de la flexibilité statique à la flexibilité dynamique.
La rigidité non attendue des ateliers flexibles n'est pas imputable au choix des machines, mais aux méthodes de conception des systèmes d'information, lieu d'accumulation des connaissances. S'il est possible de concevoir les machines possédant toutes les fonctionnalités imaginables, tant que les jonctions entre les composantes du système d'information greffé sur ces machines resteront rigides, la flexibilité de l'ensemble reste compromise. Actuellement, ces méthodes majoritairement sont issues des approches fonctionnelles qui ne mettent pas en évidence la notion de connaissance. L'enrichissement du système obtenu par les techniques fonctionnelles par injection de connaissances est difficile. Cet aspect compromet l'obtention d’une véritable flexibilité dynamique.
Le succès des systèmes experts observé il y a quelques années provenaient de leurs capacités à gérer des connaissances. Néanmoins, le choix des connaissances initiales, des règles, la vérification de leur cohérence et de leur exhaustivité ainsi que l'estimation du temps de réponse, c'est-à-dire du temps de travail du moteur d'inférence, posait un problème difficilement compensable par la flexibilité des systèmes experts. Cette technique de réalisation des systèmes n'est aujourd'hui associée à aucune approche conceptuelle.
Il serait donc souhaitable d'appliquer les méthodes de conception qui vont à contre-pied des analyses descendantes classiques et du découpage par tâches, c'est-à-dire des méthodes qui mettent en relief les connaissances, les savoirs de décider ainsi que leur positionnement dans la structure, ce qui devient stratégique, aussi bien dans la conception des ateliers flexibles de production, que pour la survie des sociétés de services.Les méthodes de conception à « objets décisionnels » apportent ici une ouverture prometteuse. L'approche B-ADSc en est l'un des exemples. Ces méthodes permettent de représenter un système informatique en tant qu'une hiérarchie d'activités correspondant aux centres élémentaires de prise des décisions.
R. Reix, la Flexibilité de l’entreprise, Edition Cujas, 1987
P.Iticsohn, Tôlerie, le premier atelier flexible, Industrie et Techniques, 1984
R. Venkatesan, Cummins engine flexes its factory, Harvard Business Review, 1990
C. Fiore, La productique : concepts, methods, mise en oeuvre, Economica, 1988
P. Messine, Les Saturniens, Editions La Découvert, 1987
Ph. Marris, Le management par les contraintes en gestion industriell, Les éditions d’organisation, 1994
C .THOMAS, Entre chéops et chaos, l’entreprise peut-elle faire l’économie de la hiérarchie ?, Université de Nice - Sophia Antipolis, 2005
Au moment de la réalisation d'un système de production, la jonction entre l'activité et sa structure d'accueil valide une finalité factorielle nettement inférieure à sa finalité générale. En prévision de besoins futurs, cette jonction peut valider une finalité factorielle beaucoup plus large que celle qui sera utilisée : réserve de fonctionnalités. Pourtant, l'évolution peut exiger une finalité factorielle en décalage avec la finalité générale. La polyvalence est donc insuffisante pour concevoir la flexibilité car elle ne s'inscrit que dans le prévisible, alors que la flexibilité, pour sa part, s'inscrit dans la capacité de réaction à l'imprévu.