IGD
contact IGD : email
votre commentaire
retour IGD
© IGD 2011
Copyright : This article is licensed under the GNU Free Documentation License (GFDL)

Copyright iegd.institut.online.fr - 2011, tous droits réservés
Internet des Objets et standardisation…
Philippe Gautier
en traduction
Dans certaines définitions de l’Internet des Objets, « il est parfois suggéré que l'objet devienne un acteur autonome de l'Internet, c'est-à-dire capable de percevoir, analyser et agir par lui-même dans les contextes des processus dans lesquels il sera engagé. […] Le couple "objet physique" / "Intelligence virtuelle associée", qu'elle soit embarquée, distribuée ou hébergée dans le Cloud, y est alors mentionné sous l’appellation "cyberobjet". Les cyberobjets sont des acteurs potentiels des chaines de valeurs qui agissent sous le contrôle des opérationnels ou en partenariat avec eux. » (Source Wikipedia, septembre 2011).

Le Web 2.0 fut caractérisé par la généralisation des « individus-acteurs », consommateurs, citoyens, militants, ... - réseaux sociaux, outils collaboratifs, moi-quantifié ou « quantified-self » … - et confirma qu’il n’était pas possible de prévoir, a priori, tous les comportements d’acteurs autonomes quels que soient les contextes ou les processus. Ce principe est en outre très lié à celui de création de valeur pendant cette période de l’Internet : le Web 2.0 fut prolifique parce que permettant de découvrir de nouveaux horizons.
Pour ce qui concerne l’avenir de l’Internet, ce retour d’expérience démontre qu’il est légitime de poser la question de la «Standardisation», réponse la plus fréquemment donnée aux problématiques d’interconnexion, de communication et d’interopérabilité dans nos organisations. Les travaux de standardisation ne sont en effet peut-être pas, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, les seules solutions pour adresser les enjeux que pose l’évolution la plus récente de l’Internet : l’Internet des Objets. Standardiser consiste notamment à définir des règles pertinentes et communément acceptables en matière de savoir-faire, d’organisation ou de communication ; s’agissant des accès à des ressources (ou moyens) et à leur partage au sein d’un écosystème donné. Définir de telles règles dans des organisations « complexes » (où plusieurs acteurs autonomes sont capables de s’auto-organiser en fonction de finalités communes) ou des environnements « chaotiques » (où les acteurs sont en divergence de buts), est très difficile : c’est un travail sans fin car l’écosystème traité est en perpétuelle évolution et le moindre changement peut engendrer des transformations imprévisibles à grande échelle. En effet, comment prédéfinir des modèles déterministes et exhaustifs, censés représenter ce que sera la réalité dans tout ce qu’elle a de complexe et d’incertain ?

l’organisation moderne par des schémas très analytiques et fonctionnels. Il faut noter ici que ces derniers sont un héritage du cartésianisme et des courants de pensée scientifiques prégnants jusqu’à la seconde partie du XIXème et, même s’ils ont été largement supplantés dans le domaine scientifique (nous le verrons ci-après), ils restent majoritaires dans nos schémas de pensée. L’approche fonctionnelle, approximative dans bien des cas, est en effet suffisante pour les processus relativement contrôlés et restreints mais ne l’est plus pour la réalité d’un monde ouvert et interconnecté, c'est-à-dire un vaste ensemble socio-technique complexe ou chaotique (selon le niveau d’analyse) où les chaînes de décision concernent aussi bien les hommes, que les automates (systèmes d’information compris) et désormais les cyberobjets, acteurs à part entière des organisations.

En matière d’Internet des Objets, de « Web 4.0 », de « Web sémantique » ou encore de « Web symbiotique » (tous ces termes évoquent une même évolution et leur utilisation dépend de la culture de celui qui les emploie) et, plus synthétiquement, d’appréhension des organisations complexes ou des environnements chaotiques, les bonnes approches sont d’inspiration systémique et n’ont que peu d’a priori sur les systèmes opérants : la réalité des processus ou des chaines de valeurs… «la vraie vie». Ces approches considèrent notamment que les systèmes opérants, même s’ils répondent parfois à des règles généralement admises, se structurent en réalité de façon dynamique et récursive, y compris à des niveaux très subsidiaires : réactions en contexte, auto-organisation de groupes d’objets, interopérabilité à des niveaux plus collectifs, stratégie, etc.

L’Internet des Objets (nous n’utiliserons que ce terme) symbolise donc cette étape historique à franchir, où le changement de paradigme est de même nature que celui qui nous a fait passer du modèle physique simplifié de Newton à celui - encore en construction - proposé par Einstein (dans l’infiniment grand) ou Planck (dans l’infiniment petit) :
· Le précédent modèle Newtonien ne s’est en effet révélé finalement utile qu’à notre niveau d’abstraction, de perception et d’action (d’organisation) : les choses s’intègrent dans un cadre pré-structuré dont les règles sont immuables et s’appliquent partout (espace euclidien, temps universel). Par analogie, tant que l’organisation reste limitée et perméable, le consultant ou le concepteur informatique n’ont besoin que d’un modèle approximatif. Ce modèle est rassurant, il permet (en théorie) la prévision. Enfin, les modèles les plus simples sont aussi ceux que nous retenons, souvent par paresse intellectuelle ou par manque de vision d’ensemble : « Le demi-savoir triomphe plus facilement que le savoir complet: il conçoit les choses plus simples qu’elles ne sont, et en forme par suite une idée plus saisissable et plus convaincante » [Humain, trop humain (1878-1879) - Friedrich Wilhelm Nietzsche].
· Dans les modèles physiques modernes, il n’y a pas d’organisation « a priori ». La structure de l’espace change (y compris dans sa dimension temporelle) et évolue en fonction de l’auto-organisation des objets (petits ou grands) qui le peuplent. Les règles n’y sont pas nécessairement immuables (notamment selon certain modèles cosmologiques récents) et toute analyse y est récursive et évolutive. Par analogie, l’organisation devenant complexe ou l’environnement chaotique, le consultant ou le concepteur informatique devront utiliser des modèles dynamiques nécessitant un apprentissage permanent afin de s’adapter aux changements perpétuels. De tels modèles intègrent l’incertitude comme composante fondamentale de la démarche et mettent en exergue la primauté du pilotage sur la prévision. La mise en œuvre de ce type de démarche implique cependant de sortir du cloisonnement technique dans lequel un siècle d’enseignement nous a plongé: l’appréhension des organisations complexes ou des environnements chaotiques nécessite une transdisciplinarité qui ne s’est vue généralisée qu’une seule fois dans l’histoire, à l’époque de la Renaissance.

Avec l’ouverture généralisée des chaînes de valeurs et l’avènement de l’Internet des Objets, les acteurs (humains, groupes, communautés, entreprises, cyberobjets, communautés ou groupes de cyberobjets…) vont plus que jamais disposer de caractéristiques propres, mais leurs finalités vont se construire au fur et à mesure de leur cycle de vie et parfois être divergentes : rien n’y sera définitif ou pleinement prévisible « a priori ». Dans un tel contexte, il est donc illusoire de vouloir anticiper tous les comportements, les savoirs faires ou échanges possibles : tous vont évoluer, souvent de façon fortuite, selon les contraintes rencontrées, le retour d’expérience et les interactions. Le maître-mot en la matière est donc « adaptabilité » !
Un travail utile de standardisation consisterait donc, non plus à proposer des modèles préétablis, mais à proposer des approches et des outils standardisés permettant de modéliser, même si toute modélisation est réductrice, les dynamiques intrinsèques aux organisations complexes (étudiées en tant que systèmes sociotechniques) ou aux environnements chaotiques. Il s’agit ici de favoriser des approches systémiques qui permettent des appréhensions, à la fois globales et situées, avec des tendances communes mais des réponses différentes selon le système, l’environnement traité ou étudié, le moment de l’étude. Dans mon dernier ouvrage sur l’Internet des Objets (voir ci-dessous), j’illustre ce point en faisant le parallèle entre ces « nouveaux standards » et les « attracteurs étranges » de la théorie du chaos.

La réalité opérationnelle évoluant selon des dynamiques d’apparence capricieuses, la question de la gouvernance deviendra - pour les nouveaux organismes de standardisation - centrale : l’humain restant au cœur de l’organisation sociotechnique, ses règles de perception, de pilotage, d’action ou encore d’adaptation devront lui permettre de piloter efficacement les transformations de l’organisation dont il a la charge. C’est sur ce point que les principaux standards à venir démontreront leur pertinence. Quelques standards « classiques
» et spécifiques subsisteront néanmoins : « ciblant des typologies d’objets et d’architectures plus restreintes selon les secteurs d’activité, […] ils seront facteurs de productivité dans les chaînes de valeurs « fermées » ou « semi-ouvertes ».



blog : http://www.i-o-t.org
livre : Internet des objets