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L'organisation et le temps
introduction
Janusz Bucki
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La vision classique considère le temps comme une dimension indépendante, comme une référence absolue, universelle. Malgré les travaux récents en physique, cette interprétation du temps se trouve largement reprise par les différentes méthodes de modélisation. Ainsi, tout système, comme toute activité, est censé avoir la même perception de l’écoulement du temps. En conséquence, une horloge n’est qu’un instrument de mesure d’écoulement du temps. Les unités de mesure peuvent différer d’une horloge à l’autre : année solaire, minute, seconde. Néanmoins, le temps, lui, est susceptible d’exister objectivement et d’évoluer d’une façon constante. L’idée sous-jacente d’une telle approche est que le temps n’influence ni le comportement d’un système, ni sa structure. Il est possible uniquement de dater son état, le positionner sur l’échelle du temps. Les représentations proposées, aussi bien dans la théorie de la relativité que dans la mécanique quantique, n’associent aucune direction particulière au temps et les équations qui y sont formulées restent généralement réversibles par rapport au temps.
Dans la pratique informatique, cette interprétation du temps conduit à considérer tout système comme un système «temps réel» du moment où l’intervalle souhaité entre la perception d’un événement et la fin de son traitement reste inférieur à la fréquence d’apparition des événements. Faute de quoi, certains événements risquent d’être ignorés. La fréquence des traitements fait ainsi partie des données d’entrée à la conception, en tant que contrainte. Les solutions obtenues deviennent, le plus souvent, dédiées à cette fréquence et qui, dès lors, positionne les limites de leur application. Toute augmentation des contraintes externes, si elle ne peut plus être compensée par un matériel plus puissant, conduit à une diminution de la maîtrise du processus piloté. En ce sens et en référence à cette fréquence, les systèmes dont le cycle de traitement devrait être suffisamment rapide seraient les systèmes « temps réel », d’autres sont rarement considérés comme tels. Ce point de vue fait que l’analyse des caractéristiques temporaires du fonctionnement des solutions informatiques concerne davantage l’informatique dite industrielle que l'informatique de gestion. Dans le premier cas, c’est le processus industriel qui bat la mesure et impose la cadence des prises des décisions, dans le second, le processus évolue au rythme des décisions élaborées par le système de pilotage. L’insuffisance des méthodes de conception actuelles, en ce qui concerne la prédiction du comportement temporaire d’une solution informatique, est compensée, dans la pratique, par la recherche d’algorithmes astucieux, les plus rapides possibles et se traduit souvent par une limitation fonctionnelle. L’informatique de gestion, à son tour, a été longtemps développée selon le principe implicite postulant que le rythme d’apparition des événements est régulé par l’organisation elle-même et ses outils informatiques. Actuellement, le contexte concurrentiel remet en cause cette maîtrise arbitraire du temps revendiquée par le secteur tertiaire. Ainsi, la réactivité de l’organisation détermine son niveau de service, par la même, son positionnement sur le marché.
Aujourd’hui, dans le but d’optimiser la gestion des stocks, les entreprises ressentent le besoin de disposer de consolidations des ventes quasiment en temps réel.
Dès lors, aussi bien pour l’informatique industrielle que tertiaire, il devient important de pouvoir prédire, évaluer et, si nécessaire, faire évoluer, dès la conception, la réactivité d’un système d’information et, de ce fait, celle de l’organisation qui l’intègre.
La méthode B-ADSc s’éloigne de la vision du temps en tant que phénomène existant objectivement. Dans cette approche la perception autoréférentielle, donc subjective, de l’écoulement du temps prévaut. Ainsi B-ADSc considère qu’un acteur, pilote d’une activité, perçoit l’évolution du temps à travers des changements d’état d’autres acteurs ou d’autres objets de son entourage s’opérant indépendamment de sa volonté, donc de ses décisions : les journées qui se suivent, la montre qui fait avancer ses aiguilles … Justement, c’est cette indépendance qui, chez l’homme, procure le sentiment d’une impuissance face au temps. La perception du temps, qu’un acteur peut avoir, est interprétée ici comme un phénomène local et subjectif. Elle varie en fonction de sa situation : suivant son rôle, son positionnement dans l’organisation, sa sensibilité ou, encore, suivant la maîtrise qu’il possède de ses moyens.
Souvent, étant dans une ville pleine d’animation, nous avons l'impression que le temps s’écoule plus vite que dans un village paisible.
En ce sens, l’approche décisionnelle associe la perception du temps aux interférences d’autres activités, d’autres organisations sur les moyens partagés. Pour que nous puissions percevoir le temps, il faut que nous soyons en situation de pilotage des processus non maîtrisés entièrement par nous, que nous opérions dans un contexte perçu par nous comme partiellement chaotique. Ainsi, la perception du temps et celle du chaos vont ensemble et se confondent. Deux personnes avec des sensibilités différentes, opérant dans des contextes opérationnels identiques, ont toutes les chances de percevoir différemment l’écoulement du temps. Une sensibilité plus grande permet de percevoir plus de chaos ambiant.
Suite aux décisions prises, une organisation ou un acteur autonome cherche à amener la situation des processus pilotés vers celle correspondant aux objectifs qu’il poursuit. Les interférences d’autres organisations ou acteurs sur ses moyens seront perçues comme des perturbations, parce qu’elles génèrent des évolutions non maîtrisées, non décidées par elle-même. Ces interférences viennent perturber sa conduite des processus et, en conséquence, l’oblige à élaborer des décisions correctives. Plus ces interférences sont fortes, plus l’effort d’élaboration des décisions correctives devient grand et, ainsi, plus l’écoulement du temps lui paraîtra rapide : conduite d’une voiture sur une route déserte - traversée de Paris. Dans la perception d’un homme privé de montre et enfermé dans une caverne, le temps se « dilue » par rapport au temps de référence, au temps « externe ».
L’appréhension du temps devient alors subjective et corrélative à l’effort cognitif qu’un acteur fournit pour maîtriser le processus qu’il pilote. Son évolution n’est plus objective, constante et continue mais locale, subjective, variable et discontinue :
• subjective parce que, pour un acteur, l’appréhension du temps dépend de son positionnement dans l’organisation
(système), de sa tolérance, de sa sensibilité …
• variable parce qu’elle résulte de la dynamique changeante d’autres organisations, d’autres acteurs interférant sur les
moyens partagés, du chaos ambiant,
• discontinue parce que perçue à travers les changements d’état du processus auxquels il est sensible.
Un acteur ou une organisation opérant en temps réel, donc dans un contexte partiellement chaotique, subit inévitablement des modifications comportementales et, en conséquence, des modifications structurelles. Ceci passe principalement, d’un côté par l’acquisition ou l’élaboration de connaissances nouvelles relatives à la construction des comportement face à des perturbations (intégration du retour d’expérience) et, de l’autre, par un réarrangement des délégations afin d’améliorer l’équilibre entre le potentiel propre de son organisation et la sollicitation externe. Plus le chaos ambiant est grand, plus son impact, donc l’impact du temps, sur le comportement et la structure de l’organisation est important.
Une chute d’eau crée une brusque perturbation dans l’écoulement tranquille d’un fleuve. Les tourbillons se formant juste devant la chute - les activités nouvelles du fleuve - ont pour rôle de diminuer la propagation en amont du chaos généré par la chute.
A contrario, si le chaos diminue, alors le pilotage se simplifie et, ainsi, la prédictivité des effets des décisions prises augmente. En conséquence, le facteur temps perd de son importance.
Du fait de la mondialisation, le contexte dans lequel opèrent les entreprises est perçu comme fortement chaotique. Dès lors, la prise en compte effective du facteur temps dès la conception des solutions informatiques et organisationnelles détermine l’efficacité des entreprises.
Deux concepts, celui de processus passif et celui de processus actif dans son environnement opérationnel, s’attachent à la notion du temps.
· un processus est passif dans un environnement opérationnel si, et seulement si, son évolution est
conditionnée uniquement par les décisions prises dans cet environnement.
L’existence d’un processus passif implique une appropriation par l’environnement (non partage avec d’autres contextes opérationnels) des moyens appartenant à son processus et, par conséquent, leur maîtrise totale. Ceci signifierait qu’une organisation pilotant un tel processus possède toutes les connaissances sur les comportements des éléments de ce processus et les changements de leurs états ne résultent que des décisions prises à l’intérieur de cette organisation - ce qui est quasiment impossible à obtenir dans un Monde réel. Dans la pratique, considérer un processus comme passif signifie que l’impact des perturbations éventuelles est jugé insignifiant ou délibérément ignoré par les concepteurs.
L'ensemble des mémoires destinées à retenir les variables locales d'un programme peut être considéré comme un processus passif dans l’environnement de ce programme.
· un processus est actif dans un environnement opérationnel si, et seulement si, il peut évoluer
indépendamment des décisions prises dans cet environnement.
Ceci signifie qu’un certain nombre d’objets ou de moyens appartenant à ce processus fait partie d’autres processus pilotés par d’autres organisations.
Les mémoires retenant les variables partagées entre deux ou plusieurs programmes représentent un processus actif dans l'environnement opérationnel constitué par chacun de ces programmes.
La perception du temps vaut celle du chaos généré par des organisations (acteurs) poursuivant les finalités différentes, interférant sur les moyens partagés. Suite aux décisions prises dans l’une des organisations, un changement d’état des moyens partagés peut être perçu comme une perturbation ou, tout simplement, comme un « top horloge » par une autre.
Les aiguilles d’une montre avancent suite aux « décisions » prises dans l’organisation mécanique ou électronique de la montre. Les changements d’état du cadran sont interprétés comme « top du temps » par celui qui la consulte.
· dans une organisation, le système de délégation est un système temps réel si, et seulement si, il est chargé
du pilotage d’un processus actif.
Dans l’environnement d’une activité, le processus évolue suite :
- aux actions résultant des décisions prises par l’activité elle-même
- aux actions d’autres acteurs, d’autres activités, en interférence sur les moyens partagés
- aux manifestations, par les sous activités, de leur autonomie.
Au niveau d’une activité, le temps serait donc perçu suite à son effort cognitif d’élaboration des décisions correctives. Plus l’activité est sensible, moins elle est tolérante alors plus cet effort sera grand. Ainsi, la perception de l’écoulement du temps est corrélative avec l’effort cognitif qu’une activité fournit afin d’assumer la maîtrise du processus qu’elle pilote.
Outre le degré du chaos ambiant, cet effort est déterminé :
- d’un côté, par la sensibilité : la capacité de l’activité à percevoir et comprendre les changements d’état du processus
- et, de l’autre, par sa tolérance : les écarts tolérés entre la situation perçue du processus et les objectifs poursuivis.
Toute modification de l’une de ces deux caractéristiques, donc de la politique du pilotage, a pour conséquence un changement dans la perception de l’écoulement du temps et peut conduire aux adaptations structurelles de l’organisation.
Si nous admettons que la finalité première de chaque système est la construction, avec un effort minimal, de son équilibre cognitif, donc consiste à construire et maintenir une situation dans laquelle l’écart entre l’état perçu du processus et l’objectif poursuivi est toléré, il serait alors possible de représenter tout système, toute organisation (voir l’Univers) comme une boucle de régulation dans laquelle s’articulent deux flux d’informations (deux forces) :
- maîtrise : l’information poussée afin de diminuer le degré du chaos au niveau du processus,
- temps : l’information tirée, le chaos perçu au sommet de l’organisation.
Pour y parvenir, le système s’organise. Il crée les activités nouvelles. En le faisant, il crée l’espace, met en place les activités nouvelles :
Une activité est chargée de la « transformation » de la « force de temps tirée » en « forces de maîtrise poussée» et, par la même, elle diminue l’effort du sommet de l’organisation, donc participe à la dilution du temps perçu au sommet.
Vue d’«en bas», donc par un observateur positionné dans son passé, elle sera ressentie comme une source d’énergie, source de l’information poussée. Ainsi, l’observateur constatera sa nature « énergétique ».
Vue d’«en haut», donc par un observateur positionné dans son futur, elle sera ressentie comme un objet duquel l’on tire l’information, donc comme un objet pesant, doté d’une masse. Ainsi, l’observateur constatera sa nature «corpusculaire».
Chaque activité (objet) possèderait donc deux facettes : "corpusculaire", "énergétique". Leur perception dépendrait de la position de l’observateur : dans le futur de l’objet observé ou dans son passé.
Ce que nous considérons comme de la matière ne serait donc que notre passé, étant donné notre position dans l’espace temps ?
Serait-il possible un jour de voyager dans le temps, tout comme en ascenseur : plus on monte, plus on s’approche de la Direction, plus le temps se dilue et plus on ressent le « poids » de l’entreprise ?