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L'approche systémique dans la gestion de projets
ou comment le simple advient dans le complexe
Catherine Gheselle
Peut-on conduire entièrement un projet par l’approche systémique ? La question est posée à travers l’exemple d’un projet de communication pour une future entreprise en incubateur évoluant dans le monde de l’innovation technologique.
Chemin faisant, d’autres méthodes se sont révélées plus adéquates que les implacables recettes analytico-cartésienne. En passant par l’étude de l’innovation et celles des systèmes, une approche méthodologique différente s’est ébauchée pour traiter le cas évoqué. Ce parcours initiatique s’est fondé en grande partie sur les travaux des chercheurs en approche systémique et plus particulièrement en modélisation de systèmes complexes qui apparaissent devoir s’imposer aujourd’hui comme un mode de pensée universel permettant de repenser le monde et de changer les mentalités.
MOTS CLES : Approche systémique, complexité, modélisation, gestion de projets

ABSTRACT : Could we entirely lead a project by the systemic approach ? The question is put through the example of a communication draft for a future company based in an incubator evolving in the world of the technological innovation. Making way, owe the complexity of the evoked situation, other methods appeared more adequate than the sacro-holy receipt with to do everything analytico-cartesian.
While passing by the study of the innovation and those of the systems, a diffferent methodological approach was outlined to treat the evoked cas. This initiatory course was based mainly on work of the researchers in systemic approach and more particulary in modeling of complex systems which appear duty to be essential today like a universal way of thinking making it possible to reconsider the world and to change mentalities.
KEY WORDS : Systemic approach, complexity, modeling, project management
1. Introduction
Tout d'abord, précisons que le texte que je propose ici est issu d'une étude de cas réalisée en 2005 avec quelques personnes, pour une entreprise alors en cours de création. Pour des raisons de confidentialité, je ne dévoilerai pas les noms des personnes et des entreprises liées par ce projet.

Si l’on considère le seul champ de l’entreprise, peut-on tenir l’approche systémique pour mode de pensée structurant toute conduite de projet, au niveau de la communication, de l’organisation, de la gestion ou de la connaissance ? Ce dont nous avons besoin dans l’art de mener des projets, c’est d’ouvertures permettant une meilleure approche globale, gérée par quelques principes qui illustrent le moyen de construire par la pensée complexe de nouveaux possibles dans le champ entrepreneurial mais aussi humain; tout empêtré qu’il est dans sa pensée rationnelle, le monde s’essouffle car il ne sait inventer en situation.

Peut-on voir dans l’approche systémique une clé pour opérer la conduite de projets ? Cet article ne se prétend pas être un guide opératoire traitant chacun des domaines de l’entreprise mais, en nous appuyant sur un cas concret, nous illustrerons chemin faisant la faisabilité et l’effectivité de l’approche, en relevant les endroits où les passerelles sont à construire pour optimiser nos voyages projectifs. A la façon d’un Stevenson racontant son périple dans les Cévennes
[1], le récit qui va suivre est à prendre au sens initiatique où, rétroactivement, l’analyste-voyageur rend compte des interactions entre le système (les Cévennes), le projet (le voyage), l'intention et la connaissance (Stevenson et Modestine !). Qu'on me pardonne cette métaphore mais le projet tout comme le voyage initiatique ne sont-ils pas de merveilleux moyens de locomotion ?
Fig. 1: L’intention et la connaissance interagissant
Y a-t-il un pilote dans l’idée systémique ? Et comment la véhicule-t-il ? Il n’existe pas de méthode du Tout Systémique et c’est tant mieux car tout discours se fossilise dès qu’il s’officialise. L’approche systémique est très développée dans certains domaines, beaucoup moins dans d’autres. Si chacun est sensibilisé à cette approche, chacun pourra construire son ou ses modèles en instrumentalisant la pensée complexe.

2. Situation actuelle de la gestion de projets
Les éditos de nos magazines ou de nos ouvrages traitant de l’Entreprise sont très nombreux depuis quelques années à évoquer la crise du Projet. Combien trouvent une issue satisfaisante ? A les entendre, les spécialistes constatent que l’échec illustre le plus souvent l’aboutissement de travaux pourtant longs et coûteux. En tant que chefs de projet pour la future entreprise X, il nous faut donc relever un challenge, exacerbé par un contexte particulier.

2.1 Premiers constats
Incapables dans un premier temps de mesurer toute l’ampleur de ces difficultés, nous prenons conscience que les méthodes traditionnelles ne sont peut-être pas les meilleures. D’abord elles semblent peu s’appliquer au domaine de l’innovation; et puis elles apparaissent simplifiantes. La simplification est réductrice, elle «isole ce qu’elle sépare, et occulte tout ce qui relie, interagit, interfère» pour reprendre les termes d’Edgar Morin
[2]. Dès lors, l’analyse systémique, puisqu’elle tient compte des interactions avec les environnements du système, semble proposer une approche du réel satisfaisante. Le modèle systémique peut aider à la compréhension des problèmes tenus pour complexes. Ceci dit, il convient de noter qu’il existe plusieurs variantes en fonction du domaine d’intervention et que l’on n’utilisera pas la même approche systémique si l’on intervient dans le champ de l’économie, dans celui de la communication, de l’organisation ou de la connaissance, pour ne citer que ceux qui entretiennent un lien avec l’Entreprise. Les principes sont différents. Et cela peut compliquer la tâche. Il devient vite fastidieux pour un chef de projet d’employer les méthodes à la lettre. Ceci dit, si l’on ne s’égare pas de l’esprit systémique et qu’on peut repérer dans les méthodes les outils qui nous seront utiles, on s’autorise déjà à produire une réflexion intelligente. Cet article n’aura donc pas la prétention de livrer une méthode unique et complète mais au contraire d’inciter à suivre les pistes exposées, à se les approprier pour en bâtir des outils enrichis de fonctionnalités personnelles.

3. Le contexte du projet
Comment une entreprise qui n’en est pas encore une peut communiquer sur son produit qui n’est encore qu’un objet technique, c’est à dire un pur objet de laboratoire, certes peut-être efficace mais ne correspondant à un aucun besoin ? C’est pourtant ce qu’elle réclame. Le paradoxe est incontournable. Une non-entreprise, sans nom, sans produit, sans passé, sans mémoire donc…ET, ce qui paraissait le plus urgent à résoudre aux yeux de la future dirigeante, sans outil de communication. Ah ! On a tant dit qu’il fallait communiquer, communiquer à tout prix, envers et contre tout.
Mais communiquer sur quoi ? sur qui ?

Fig. 2 : Quelques systèmes complexes …
4. Approche systémique des communications
Tout naturellement, nous commençons par analyser l’aspect communicationnel. Non pas pour répondre d’emblée aux questions précédemment posées mais pour nous attacher à décrire la nature et le contenu des relations dans le système.

Cette immersion se fait par l’approche systémique. Comprendre par ce biais le système des relations nous a permis d’entrevoir certains éléments qui allaient fonder notre démarche future. En effet, Alex Mucchielli
[3] nous enseigne, dans le prolongement de l’école de Palo-Alto, que tout phénomène véhicule un sens dans son contexte et que cette « contextualisation systémique des relations » peut permettre au consultant d’obtenir, par recadrages, un éclairage des problèmes qu’il se propose de résoudre.

Les Sciences de l’Information et de la Communication fournissent des concepts et des méthodes pour analyser l’aspect communicationnel. Nous constatons l’ampleur des problèmes épistémologiques car les théories sont nombreuses. Il faut donc décider : le pragmatisme nous guidera vers les théories susceptibles de répondre à nos attentes. Cela peut paraître un peu opportuniste. Mais comment faire? Car si nombres de chercheurs souhaitent l’apparition de « super théorie englobante » pour reprendre les termes du professeur Mucchielli
[3], nous constatons qu’une «guerre des gangs» pointe alors l’aspect contradictoire du discours. Car chacun aimerait faire adopter sa recette. Sur le terrain, la gestion des projets par l’approche systémique s’en trouve compliquée. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin.

4.1 Postulat de la réalité complexe

L’approche compréhensive, fondée sur le sens des phénomènes, permet de donner à la réalité une dimension différente. Ainsi, on reconnaît dans ce positionnement une redéfinition de la réalité et une méthode capable de relever le «défi de la complexité» [2], proposées par Edgar Morin. Les postulats de ce positionnement permettent l’émergence de cette complexité ce qui fera apparaître « l’ordre simple » qui la gouverne.

Dans le cadre de notre analyse, nous prenons donc en compte le fait que la réalité n’est pas unique, ni objective, ni donnée mais qu’elle est une construction de sens collective, en perpétuel mouvement de par ses interactions et causalités. On peut dès lors introduire la notion de système et compter sur une nouvelle heuristique pour découvrir le sens d’un réseau de phénomènes non gouvernés par une causalité linéaire. Nous sommes bien loin du modèle émetteur-récepteur.

4.2 Les grandes lignes de la méthode
Ensuite, si l’on veut étudier les phénomènes communicationnels, il conviendra encore de choisir une méthode. La méthode constructiviste permet une approche qualitative qui se base sur le recueil d’informations, leur description, leur analyse pour laisser advenir le sens de ces phénomènes qu’il conviendra de croiser aux systèmes environnants (analyse par contextualisation) pour en saisir la globalité. L’objet n’est pas ici de détailler toutes les étapes de l’approche systémique des communications mais d’en privilégier quelques unes particulièrement dynamiques qui ont fourni des conclusions prégnantes. Même si elle n’était pas tout à fait adaptée à notre contexte, la méthode de l’hypertexte décrite par Mr Mucchielli
[3] a permis aussi quelques approches du réel intéressantes. Comme elle postule de l’existence d’un débat latent inconnu, elle permet la révélation d’éventuelles problématiques.

4.2.1 Recueil d’informations et analyse
La phase de recueil d’informations peut sembler fastidieuse. En effet, à ce stade de l’étude, on ne peut distinguer quels éléments sont à retenir et lesquels ont peu ou pas d’importance; de ce fait, il faut tout enregistrer, même ce qui peut paraître insignifiant. Certains éléments sont peut-être la clé de voûte d’un sens caché. Tout est porteur de sens, tout phénomène a une importance, encore faut-il trouver quel système illustre cette importance. Les informations (les commentaires) peuvent prendre des formes aussi variées que textuelles, visuelles, orales, matérielles, spatiales, temporelles, organisationnelles, socioculturelles, gestuelles, comportementales; bref tout ce qui est « construit humain, expression d’intentionnalités explicites ou latentes ». Le matériau peut être riche, ce qui stimule l’analyse. Par la démarche empathique qui l’accompagne, cette méthode est enthousiasmante. Dans notre cas, cette première phase pointe surtout les enjeux et les relations entre les acteurs à travers quelques processus communicationnels récurrents. Cela fournit la base d’une série d’entretiens plus directifs avec les divers acteurs.

4.2.2 Emergence du sens par contextualisation
La phase suivante consiste à analyser les significations par contextualisation. Cette phase est plus complexe vu qu’elle doit permettre l’établissement intellectuel d’un réseau entre toutes les informations afin d’en délivrer le sens. C’est ainsi que nous avons pu être éclairé sur l’immaturité de la jeune personne qui nous confiait le projet de communication évoqué. La suite le confirmera, c’est bien grâce à l’analyse du contexte des communications que les premières significations ont à nouveau pris sens dans l’évolution des situations. L’intérêt évident est que, comprenant certaines situations, l’équipe d’analystes peut prévoir des stratégies adaptées, voire adaptatives. Nous savions qu’il nous faudrait être non seulement des chefs de projet mais encore des formateurs, des décideurs, des conseillers et des prescripteurs.

L’analyse systémique des communications nous permet ainsi de comprendre que la future entreprise, hébergée actuellement en incubateur, ne manque pas seulement de maturité mais aussi peut-être de motivation pour quitter le nid douillet. Il y a une interrogation existentielle latente qui remet forcément en cause la fiabilité de notre commanditaire et qui fait ombrage autant à l’épanouissement de ses éventuelles capacités managériales qu’à l’effectivité de notre dispositif.. De plus, ces constats doivent être conjugués à un marché difficile. Il faut déjà beaucoup de motivation pour créer une société classique et pour assurer sa pérennité. Que faut-il dire du domaine de l’innovation technologique ? Précisons que la future dirigeante est seule. C'est-à-dire qu’elle doit cumuler les activités de recherche et de développement ET les activités managériales et de gestion classique.

4.2.3 Une problématique plus large
Répondre à une demande de produit communicationnel, telle était, nous semblait-il, notre mission. Elle s’étendait désormais à un champ plus vaste. Certes ces fonctions n’étaient pas de notre ressort. Mais d’elles dépendait le succès de la construction de nos projets ultérieurs. L’approche systémique des communications a « facilité » la compréhension d’une situation en la «complexifiant».
La situation de départ étant maintenant éclaircie, il nous faut nous atteler à la demande : construire un outil communicationnel. Pour cela, nous décidons d’analyser une étude de marché réalisée par des étudiants quelques temps auparavant. Les résultats sont décevants. Nous ne pouvons rien obtenir de ces données empilées dans des tableaux, réduites à l’état de pourcentages qui semblent dire tout et son contraire. Véritablement inexploitables.

5. Approche systémique du domaine marketing
5.1 Spécificité du marketing de l’innovation
Maintenant qu’il y a des spécialistes du marketing de l’innovation, peut-être ne
verra-t-on plus ces étudiants, certes de bonne foi, arriver dans les entreprises avec des cohortes de remèdes et, ayant à peine utilisé leur stéthoscope, se mettant directement à appliquer la fameuse étude de marché comme un cataplasme magique. Hélas, trois fois hélas, même si l’effet placebo fonctionne un temps, force est de constater que le mal revient au galop et que de tous ces chiffres de la segmentation opératoire, on n’aura rien pu tirer qui permette de lever le voile sur des marchés fabuleux ou même sur des niches riquiqui…Les innovations peuvent révolutionner le monde mais elles représentent aussi des risques énormes pour l’économie d’une entreprise. Le domaine de l’innovation technologique est encore plus insoumis. Il n’utilise pas les mêmes stratégies. Certains l’auront appris à leurs dépens, comme un certain R.Diesel qui se suicide faute de ne pouvoir vivre de sa création, un certain moteur qui équipe maintenant la moitié du parc automobile.
Là encore, les méthodes commencent à garnir les rayons des libraires traduisant une volonté de prise en compte différente du réel. Nous avons parlé plus haut du considérable taux de défaillance dans l’Entreprise. Il faut bien avouer que bien souvent, c’est la fonction marketing qui est pointée du doigt. Mal exploitée, elle oriente la stratégie de développement sur des axes mal adaptés. Lancée sur des rails peu appropriés, l’entreprise va de Charybde en Scilla pour disparaître complètement.

5.2 Le marketing : un domaine peu approché par la vision systémique
On peut toujours retenir l’approche systémique mais force est de constater que dans le champ du marketing, on ne trouve pas trop de trace de recherches appliquées. La stratégie marketing de l’innovation technologique est séduisante. Elle réclame plus de créativité. Elle fait une large part à l’intuition et à l’originalité. Le client devient un associé et le produit existe bien avant sa mise sur le marché. Et enfin, puisqu’à terme, dès qu’il aura trouvé son marché, il ne sera déjà plus un produit innovant, on peut convenir avec Paul Millier que l’innovation doit être gérée comme un état transitoire entre le développement et la commercialisation
[4].

5.2.1 Ebauche d’une méthode d’inspiration systémique
La stratégie d’approche de Paul Millier, même si elle ne s’en réclame pas explicitement, a beaucoup à voir avec l’analyse systémique. Ainsi, voici quelques indices qui confortent ce sentiment :
• Refus du découpage de la réalité et du déterminisme
• Refus des approches par trop quantitatives
• Refus de démarches par trop linéaires
• Reconnaissance du caractère unique de chaque problème
• Approche compréhensive et descriptive
• Prise en compte d’un contexte plus large qui fait état de l’intercompréhension humaine
• Importance de l’« inter » (notamment inter relationnel) et donc prise en compte de tous les phénomènes environnants (perturbations créées par l’irruption d’un produit innovant dans les habitudes du marché, celles des fournisseurs et des clients)
• Volonté de développer une nouvelle vision du monde et en particulier du monde du travail
• Actions élaborées chemin faisant, s’auto-analysant et s’auto-produisant, en interaction et en collaboration avec le système
• Prise en compte de l’incertitude comme un acteur du processus conceptuel

Nous retrouvons des vecteurs de l’approche des systèmes complexes.
Pour Millier, « Rien n’est donné, rien ne va de soi, tout est construit ». Un homme qui cite Bachelard
[5] peut trouver auprès de nous quelques crédits !
Fig.3 : Dénonciation de la mécanisation du travail, « Métropolis » de Fritz Lang, 1926
5.2.2 Plan d’actions marketing
Nous nous apprêtions à employer des méthodes classiques alors que nous sommes amenés après l’étude de cet ouvrage à les remettre en cause et à dénoncer la vision traditionnelle et causaliste de l’offre et de la demande. Il s’agit bien d’une approche systémique et constructiviste.
Tout d’abord l’approche systémique des communications nous a permis de pointer des niveaux de complexité avec lesquels il faudra composer, c'est-à-dire dans la conception de nos actions, car le projet ne peut être réduit à un objet, on ne peut le comprendre que dans son système et dans ses interactions.

Le domaine de l’innovation ne suit pas les chemins du marketing classique qui ne peut fonctionner que pour des marchés existants. Interprétée sous l’angle systémique et constructiviste, la méthode de Paul Millier pointe aussi les niveaux de complexité.

Devant les limites imposées à notre première approche, cette phrase de Jean-Louis Le Moigne
[6] apparaît comme une bouée de sauvetage : « Si l’on vous dit : tel problème, répondez : quels projets ? ».

6. Nouvelle orientation stratégique
Conjuguant les résultats de la méthode systémique appliquée à l’étude des communications, l’étude du champ de l’innovation et notre impossibilité dès lors de répondre à la demande initiale, nous sommes amenés à analyser à nouveau les informations peu nombreuses dont nous disposons et à redéfinir les besoins. Nous transformons l’intention première en une intention plus pragmatique. Il s’agira, avant de communiquer, de savoir à qui l’on doit communiquer et comment l’objet technique pourra devenir un produit, une solution trouvant sa place sur un marché. Bref, il s’avère que la priorité de l’instant pour X n’est pas d’informer sur son produit mais plutôt de repérer les segments d’accès afin, comme le conseille Paul Millier, d’y acquérir une compétence avant d’entreprendre les segments à plus forts enjeux.

Pour cela il faut communiquer sur le procédé de façon très ouverte. N’oublions pas que pour l’instant il ne correspond à aucun besoin. Et puis il faut recueillir des informations, nous en manquons cruellement (quels pourraient être les besoins, comment est perçu le procédé,…)

Ensuite il faut trouver des partenaires. En effet, Paul Millier préconise d’assurer la phase transformation objet technique/produit avec un « client à logique technique » parce que ce dernier peut être assez enthousiaste pour finaliser le développement.
On se trouve bien alors dans cette étape transitoire décrite par Millier, où le projet continue à être géré au niveau technique alors que les aspects marketing commencent à être influents. Cette phase peut s’étendre dans le temps, peut-être plus pour X, si on considère les informations issues de l’analyse communicationnelle mais aussi parce que la structure ne repose que sur une personne. L’effort, en regard de la taille de l’entreprise, paraît surdimensionné.

7. Approche conceptuelle
Nous décidons donc de produire un outil qui tiennent compte de ces contraintes et qui puisse surtout s’inscrire dans la stratégie du marketing de l’innovation technologique selon l’approche de Paul Millier.

Devant l’absence d’étude de marché, nous décidons d’imaginer un outil qui soit capable de remplir cette mission.

Fig. 4 : Un dispositif innovant pour trouver de nouveaux marchés ?
« Voyage dans la lune » G. Méliès, 1902
7.1 Un dispositif innovant
Internet est tout indiqué car il permet de contourner certaines contraintes de l’entreprise telles l’aspect budgétaire, le manque de temps et l’absence de structure organisationnelle. Nous concevons donc un dispositif marketing interactif et relationnel qui permettra d’instaurer une notion d’échange et de production de lien.
Notre outil illustre une approche marketing compréhensive. En effet, elle stipule avec l’empathie, que le «futur client» et la «future entreprise» font partie du même dispositif d’observation et donc interagissent.

7.2 La conception s’actionnant
Il apparaît que nous devons remettre en cause notre façon de concevoir. Nous ne pouvons pas nous baser sur des modèles (puisqu’ils n’existent pas) mais la « solution » doit jaillir de nos réflexions. En effet, nous ne disposons pas de représentations, même partielles, du produit que nous allons réaliser. Nous avons l’impression d’être nous aussi des créateurs de l’innovation ! Tant mieux, car ce n’est pas en reproduisant (sous la pression concurrentielle ou autre) que l’on développe sa créativité et ses connaissances.
En l’absence de modèle, nous décidons de le créer chemin faisant. Certes, en refusant la simplification, nous nous engageons dans l’incertitude. Cette approche heuristique est une manière d’explorer un champ de solutions encore inconnues. Piaget
[7] stipule que la création de connaissance naît de l’interaction entre le sujet connaissant et l’objet observé. C’est ce que nous remarquons par l’enrichissement conjugué de nos représentations propres véhiculées par notre intentionnalité.

Nous sommes concepteurs et analystes de notre propre conception. Cette complexité se conjugue à d’autres niveaux de complexité qui concernent les interactions dans le système et avec ses contextes . L’analyse des communications avait soulevé la potentialité de problèmes qui se déroulent maintenant sous nos yeux. Nous devons aussi être des décideurs. De ce fait, nous recueillons des pressions multiples. Nous sommes victimes de l’effet « boule de neige ». Si notre commanditaire subit des pressions, elles retombent inévitablement sur nous.

Nous sommes donc en prise avec bien des paradoxes. Etudiants/décideurs soumis au combat de l’objectivité/subjectivité, à la pression de nos commanditaires et à celles des commanditaires de nos commanditaires, traitant une information qui n’existe pas (donc que l’on doit créer) ou qu’on ne peut divulguer (confidentialité, résultats « disparus » d’actions antérieures,…).

Il est évident que les niveaux de complexité que nous avons révélés ne peuvent être traités simplement.

7.3 La complexité pour mieux « réfléagir »
La complexité maintenant mise à jour et prise en compte devient elle aussi un acteur.
Nous concevons donc avec elle notre manière de concevoir. L’action doit être force de proposition, s’auto-argumentant en même temps qu’elle se construit, se déconstruisant pour mieux se reconstruire jusqu’à trouver l’argumentation adéquate. C’est ce que j’appelerais la «révolaction », la possibilité de créer de nouveaux possibles par la force de l’ imagination, des connaissances se construisant et de la réflexion confondues sans qu’il y ait entre eux hiérarchisation, nous démarquant en cela du modèle analytique si prégnant.

7.3.1 Approche stratégique par la modélisation systémique de la complexité
Pour y voir plus clair, modélisons. Pour Karl Marx, modéliser, c’est «… construire dans sa tête…»
[8]. Jean-Louis Le Moigne précise que « modéliser, c’est à la fois identifier et formuler des problèmes en construisant des énoncés et chercher à résoudre ces problèmes en raisonnant par des simulations » [6]. Construire dans sa tête, c’est déjà anticiper. Anticiper l’action, c’est aussi construire la connaissance qui lui permettra d’advenir.
«Au commencement est l’action». Vous souvenez vous de cette première phrase du «Faust» de Goethe
[9] ? Le concept de base de la modélisation systémique est l’action nous dit aussi Le Moigne.
Après avoir choisi sa méthode, le modélisateur peut donc entreprendre. Petit à petit, il peut décrire les processus qu’il concocte et la caractérisation peut même intervenir en aval. Ce qui signifie que l’on ne sait pas toujours exactement ce qu’élaborera le processus. Mais c’est en le faisant qu’on le comprend C’est ainsi que la modélisation du système complexe va prendre forme, par modifications successives obtenues entre autres par son auto-enrichissement informationnel. Il s’agit de la stratégie de l’action stratégique !

Kenneth Boulding
[10] distingue neuf niveaux de classification de l’état d’un système que l’on peut résumer ainsi : chemin faisant, le système devient capable de générer et de mémoriser des informations. Ses instances décisionnelles pourront s’appuyer sur ces bases auto-produites. Le système peut aussi se complexifier et se développer en sous-systèmes (sous-sytème de pilotage, d’information, de décision). En se coordonnant et en s’imaginant, il saura s’autofinaliser.
Cette heuristique va permettre de déterminer quelques activités possibles car même s’ils sont flous à ce stade, il convient de définir des objectifs.

7.3.2 Emergence du modèle conceptuel
Peu à peu se forme une vision du modèle conceptuel. Jean-Louis Le Moigne parle de l’aspect projectif de la modélisation
[6]. Les 3 axiomes de la modélisation systémique (opérationnalité téléologique, irréversibilité téléologique et récursivité) forment une conjonction qui établit de « tenir pour inséparables le fonctionnement et la transformation d’un phénomène, des environnements actifs dans lesquels il s’exerce et des projets par rapport auxquels il est identifiable ».
Ce processus de création dynamique oblige à revenir sans cesse sur l’ouvrage par les feed-back (interactions ) qui s’opèrent entre ce que Le Moigne nomme « les intrants » et les « extrants ». En effet, une donnée de départ, en se transformant, produira une nouvelle idée qui sera recyclée dans l’ensemble des connaissances et des expériences déjà acquises. Concernant ce point, il est intéressant de garder la trace de toutes les ébauches de travail et ceci pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’on peut avoir envie de revenir sur un aspect développé à un moment inopportun alors qu’il peut s’avérer central par la suite. Et puis cette évolution ne traduit-elle pas une mémoire collective qui fera trace ?

Il convient de préciser que la phase de conception est en interaction avec toutes les autres activités et c’est ce qui en fait une approche systémique comme signalée par les axiomes relevés par Le Moigne. Nous soulignerons ici l’aspect de l’opérationnalité téléologique qui reflète la pensée de H.A. Simon
[11] expliquant que ce n’est pas tant la résolution du cas qui est la gageure mais plutôt la transformation.

8. L’organisation active
Maintenant que nous avons traité de l’activité du système, nous pouvons évoqué son organisation. Pour Le Moigne, il est le concept central d’un système complexe. Plus précisément il s’agit d’un concept d’organisation active qu’Edgar Morin avait qualifié d’ « organis-action ».
On appréhende généralement l’autonomie de l’organisation dans la récursivité des 3 actions de base, ce qui donne : « fonctionner et se transformer, ET, maintenir et se maintenir ET relier et se relier, ET produire et se produire »
[2]. Il faut relire « La méthode » d’Edgar Morin pour appréhender l’importance capitale de cette notion de conjonction. C’est ainsi que nous agissons, quitte à refaire de nouvelles approches car c’est en faisant que l’on s’aperçoit de l’effectivité ou pas du dispositif se créant alors que se créent parallèlement de nouvelles visions de ce dispositif. Pas simple pour l’élaboration du cahier des charges…Il faut savoir anticiper mais aussi savoir qu’on ne peut rien promettre.

9. La métaphore du champ artistique
Il est clair que la méthode à beaucoup à voir avec le champ artistique et nous pouvons comparer notre travail à certaines formes d’approche dans le monde cinématographique, théâtral, musical, littéraire ou encore dans celui des arts plastiques. Bref, là où l’incertitude est aussi de mise.
Ainsi le réalisateur anglais Mike Leigh ne construit-il pas de scénarios en amont. Il invite quelques acteurs à improviser et garde mémoire de leurs mouvements et de leurs mots pour élaborer la trame de ses histoires. Chemin faisant, le scénario se crée, rendant compte de la complexité du réel. C’est également cette complexité du réel qui guide les pas de bon nombre de documentaristes (le fameux cinéma-vérité cher à Jean Rouch avec qui Edgar Morin avait collaboré).
Certains musicologues ont pointé aussi le paradigme de la complexité en action, notamment dans le jazz
[12].

Et que dire de l’écrivain devant sa feuille blanche ?
Ce qu’il y a de commun dans toutes ces démarches et dans notre projet, c’est que la décision est remplacée par l’action car la construction du sens donne directement à l’action des orientations lui permettant de s’auto-dérouler. Comme pour notre projet, l’action s’engage vers une finalité mais non dans la volonté de trouver une solution optimale, une « réalité de premier degré » pour reprendre Watzlawick
[13]. C’est vraiment ce qui se passe par exemple en jazz session ou lors d’un bœuf musical dans un quelconque registre.
Ici, comme dans le champ artistique, la place des acteurs n’est pas neutre car ils participent à la construction du système. Les relations ne s’établissent pas unilatéralement mais elles sont récursives et interactives.
C’est ainsi que nous entrevoyons notre dispositif, apportant finalement une solution systémique à l’approche marketing.



Fig. 6 : Thelonious Monk, la complexité en action
10. Résistances au changement
Il n’est pas simple d’utiliser de telles méthodes puisqu’elles produisent des fonctionnements nouveaux qui, force est de le constater, déstabilisent la plupart. Comment en effet, pour reprendre l’exemple de notre réalisateur anglais, convaincre un producteur en l’absence de scénarios ?
Les hommes aiment les cadres et les pratiques établis car ils y trouvent refuge. Les représentations cartésiennes ont encore le vent en poupe. Ne pourrait-on former plus amplement à la pensée complexe ? Ainsi il nous semble pertinent de réfléchir avec Edgar Morin (dans le champ de l’écologie de l’action humaine) et Jean-Louis Le Moigne à « la conscience du fait que tout acte s’engageant engendrera toujours des effets non anticipés et souvent non désirés… »
[2].
Les chercheurs fournissent souvent des modèles trop conceptuels et on ne peut pas dire qu’ils prêchent par l’exemple.
Prendre part à ce projet pour l’entreprise est formateur mais sa finalité attendue reste surtout le succès de son innovation, c'est-à-dire sa réussite économique. Il serait intéressant qu’elle adopte une vision plus globale de son évolution.
Au niveau de l’action, le travail en groupe est plus périlleux car il n’existe pas à priori de vision commune, tout s’inventant en cours de route.

11. Des projets pour le monde, un monde en projet
S’il semble y avoir dislocations entre les phénomènes, accélérant la sensation de complexité, l’approche systémique, en prenant en compte « l’inter » dans une vision anti-manichéenne semble tisser des liens dans l’univers (mais peut-être ne fait-elle que les restaurer…).
L’apparente évidence de mondes touchant à leurs fins est donc contredite par cette pensée complexe qui postule que ce qui est observable est élaboré par un point de vue. En construisant son environnement, l’acteur y inscrit sa responsabilité.

12. Conclusion
En tant qu’acteurs d’une recherche sur notre propre action, nous avons pu varier nos points de vue et accéder à des réalités différentes. En proposant de rendre compte de l’approche systémique en conduite de projet, plus spécifiquement dans le domaine entrepreneurial, nous pouvons suggérer un constat au niveau épistémologique et au niveau pragmatique.
Tout d’abord, nous constatons que les différences de positionnement épistémologiques concernant l’approche théorique des systèmes nous ont obligé à composer autrement pour avancer. Les Sciences de la gestion sont encore ancrées dans une approche analytique même si nous constatons de-ci delà des changements notables. Le paradigme de complexité, pourtant central en Sciences de l’Information et de la Communication, ne s’est conscientisé que tardivement dans nos esprits, d’où un piétinement assez stressant. Les théories ont permis la reformulation d’une problématique qui sans elles serait passée à côté de sa propre complexité. Cette prise en compte est centrale pour aborder pleinement l’aspect organisationnel, particulièrement au niveau de la conception.

La question centrale de cet article était de savoir si l’on pouvait appliquer l’approche systémique à tous les stades de la conduite de projet. Nous constatons d’une part que la vision systémique délivre des horizons satisfaisants mais aussi que les recherches n’ont pas été entreprises dans tous les domaines. Elles s’imposent pourtant dans tous les champs de la connaissance. Certes, il n’est pas question de construire une méthodologie standardisée, cela n’est guère possible et certainement pas souhaitable. Aussi, si nous préconisons l’approche systémique, il convient de préciser que certains passages sont à inventer !

Nous constatons que si le concept de la pensée complexe est prégnant dans le monde de l’éducation, une sensibilisation serait nécessaire dans d’autres domaines, en particulier dans celui de l’entreprise. Car adopter la méthode est un fait, la faire adopter en est un autre.
A travers le projet X, nous en avons vécu un autre, celui de produire un système expérimental axé autour du concept de l’intelligence de la complexité.

Cette approche permet de comprendre que ce n’est pas tant une solution qu’il faut trouver à un problème mais qu’il est plus enrichissant de changer les représentations que l’on en a.

Grâce à ce cas d’étude, nous avons pu avoir une attitude réflexive sur notre fonction à travers une recherche collaborative. L’approche systémique et le développement de la pensée complexe nous ont permis de faire varier nos modes d’interventions et nos rapports dialogiques, de composer avec les contradictions et de remettre en cause notre mode de fonctionnement.

Bibliographie
1) R.L.Stevenson Voyage avec un âne dans les Cévennes, 1879
2) E.MorinLa Pensée complexe, ESF Editeur, 1990
E.MorinRevue Chimères n°5/6, 1998
E.MorinLa complexité humaine, Flammarion, 1994
E.MorinLa méthode
E.Morin et J-L Le Moigne L’intelligence de la complexité, L’Harmattan, 1999
3) A.MucchielliApproche par la modélisation des relations, A. Colin, 2004
A.MucchielliLa Nouvelle communication, A.Colin, 2000
A.MucchielliApproche systémique et communicationnelle des organisations,Colin,98
4) Paul MillierStratégie et marketing de l’innovation technologique, Dunod, 1997
5) G.Bachelard - La formation de l’esprit scientifique Librairie - PhilosophiqueJ.Vrin, 1983
6) J.-L. Le MoigneLa modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1995
7) J.PiagetBiologie et connaissance, Gallimard, Idées n°288
8) K.MarxLe Capital, Livre 1. Ed. Pléiade Œuvres T.1
9) GoetheFaust, 1832
10) Kenneth Boulding - General Systems theory - The skeleton of science dans la revue Management Science, avril 1956
11) H.A. Simon Article « L’architecture de la complexité » dans The Sciences of the artificial, 1969
12) M.Y. Bonnet « Le jazz, musique improvisée, exemple de création et d'innovation, article paru dans « Interlettre Chemin Faisant MCX-APC », n°27, Mars 2005
13) P.WatzlawickLa nouvelle communication, Points, 1981

Netographie
mcxapc.org Association pour la pensée complexe
revue-chimeres.org Site de la revue Chiméres

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