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L'information au service de la décision
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Janusz Bucki
L’organisation scientifique du travail considère l’homme comme un acteur devant exécuter une tâche prédéfinie. Il est donc perçu, dans ce cadre, uniquement comme un opérateur. La conception du système de production est confiée à d’autres, capables d’identifier les tâches, toutes les situations possibles et de définir le comportement des premiers. Dans cette logique, un poste de travail est facilement repérable et il représente une liste de tâches prescrites à effectuer. L’ouvrier qui l’occupe est alors assimilable à un rouage. Le déterminisme d’une telle organisation le dispense de prendre conscience de ses objectifs sinon celui de fournir et de maintenir un effort au rythme des événements. Une fois le système de production conçu et mis en place, les préoccupations du management se focalisent sur le contrôle et la maintenance de la “machine-usine”. Tout aléa non prévu est donc susceptible de gripper la mécanique construite pour produire en continu. La pérennité de telles structures, dans le contexte économique actuel et, en particulier, celui de saturation de la demande, semble compromise.

La nécessité de passer à un système de production capable d’opérer avec des volumes variables remet en cause l’organisation scientifique du travail. Les exécutants d’autrefois deviennent de plus en plus les manageurs d’aujourd’hui. L’information sur leur situation et la conscience des objectifs poursuivis par l’usine s’avèrent, à ce moment, primordiales. La nature de leurs jonctions avec leur entourage prend un aspect de plus en plus informationnel, leurs postes de travail devenant de plus en plus abstraits et la description des tâches devant être accomplies de moins en moins déterministe. La capacité à maintenir l’effort physique laisse place à des compétences telles que : appréhender et comprendre la situation, planifier l’avancement des objectifs, prendre l’initiative dans des situations nouvelles, décider, agir. L’opérateur d’antan devient un acteur à part entière exerçant son autonomie. La pérennité et l’efficacité des organisations intégrant les acteurs autonomes sont largement conditionnées par son aptitude à se comporter dans le sens de la convergence des buts. Dans le passé, cette convergence de buts était imposée par les concepteurs à l’organisation du travail. Le modèle taylorien en proposait le mode opératoire. L’insuffisance des modèles actuels et l’inexistence d’un mode opératoire adapté à la situation nouvelle expliquent la difficulté de rendre convergents les comportements des acteurs devenus autonomes et la confrontation des entreprises avec le problème de la complexité.

L’une des manières de se confronter à la complexité était d’en trouver la solution par l’information. Pour un acteur autonome, c’est la quête de l’information qui serait susceptible de lui redonner une cohérence comportementale [Le Moigne, 2]. Il s’agirait au fond d’acquérir suffisamment d’information pour tenir lieu de connaissances permettant de prévoir et ainsi anticiper sur les aléas. La prémisse en est : mieux l’acteur est informé, plus il possède de chances de construire un comportement intelligible dans des circonstances nouvelles. Or, l’information isolée ne peut avoir d’utilité pour un acteur que par rapport à ses connaissances, son savoir-faire. Ses connaissances englobent l’ensemble des règles, formelles ou informelles, et des croyances qui orientent ses décisions en fonction de l’objectif poursuivi compte tenu de son appréhension de la situation. Une information ne lui serait alors utile que s’il peut en tirer partie avec ses connaissances. S’informer à outrance amène t-il effectivement à construire des comportements cohérents, à la fois, intelligibles et convergents par rapport à la finalité de l’acteur et celle du groupe dans lequel il opère ? Le plus souvent, cette démarche relève implicitement de la recherche individuelle de l’acteur, du fait d’une abstraction qui lui est personnelle et ceci dans la mesure où rendre les informations utiles signifie trouver les règles qui en dépendent.

La transformation du contexte dans lequel agissent les entreprises a rendu obsolètes les organisations classiques basées sur le découpage fonctionnel des tâches. Néanmoins, la majorité des instruments de gestion dont on dispose aujourd’hui avait été construite sur cette base. Dans la pratique, l’insuffisance des solutions proposées est donc, le plus souvent, palliée par l’accroissement tous azimuts de la demande d’information. C’est en partie ce qui a été à l’origine du développement massif des systèmes d’information automatisés. Par conséquent, les entreprises ont eu ainsi tendance, plus ou moins consciemment, à s’éloigner de l’organisation traditionnelle pour s’organiser autour de leurs bases de données. Les systèmes d’information deviennent alors, de facto, un des facteurs structurants de l’organisation de l’entreprise [Reix, 3]. Cette irruption des systèmes d’information et la mutation des organisations ainsi engendrée sont souvent assimilées à la source de la complexité. En effet, les travaux en cybernétique ont longtemps mis l’accent sur le fait qu’intégrer et traiter l’information sont deux aspects essentiels des systèmes complexes [Le Moigne, 2].

L’approche B-ADSc associe l’émergence de la complexité à la multiplicité des acteurs autonomes. Les interactions qui s’établissent entre eux sont principalement basées sur l’échange d’information. L’importance de l’information est donc consubstantielle au système complexe mais n’en est pas la cause. Le modèle proposé distingue deux types d’articulation ou de jonction entre les acteurs d’une organisation [1] :

la jonction mécaniste là où il n'y a pas de prise de conscience de l'objectif par l'agent subordonné. De ce fait, elle rend impossible l'auto contrôle.
C'est le cas du mouvement des pistons qui, dans une automobile, mettent en rotation les roues sans que celles-ci n'appréhendent cet aspect. C'est la fiction de l'organisation taylorienne de la chaîne. L'ouvrier s'intègre à l'ensemble mécanique du système de production en tant que force de travail pour effectuer un certain nombre d’opérations dans une cadence imposée par la chaîne.
La chaîne de causalité des jonctions mécanistes : l’action engendre l’action :
la jonction décisionnelle là où l'agent subordonné prend conscience de l'objectif qui lui est demandé. Le choix de l'objectif à réaliser, s'il y en a plusieurs, ainsi que les modalités de sa réalisation, restent à son initiative.
C'est le cas d'un ordinateur chargé d'organiser la fabrication dont il connaît les objectifs et possède les connaissances permettant leur planification et leur réalisation. C'est le cas de tout employé dégagé de la logique de la chaîne.
La chaîne de causalité des jonctions décisionnelles : l’action valide l’objectif :
objectif :
être tranquille
jonction mécaniste
objectif :
être tranquille
décision :
éloigner ce trublion
action :
file !
objectif :
se sauver
jonction décisionnelle
Dans une organisation, l'existence de jonctions décisionnelles engendre, de fait, celle d'un système d'information. La jonction avec un agent humain est, par principe, une jonction décisionnelle. Dans les organisations tayloriennes, l'agent humain existe mais le système d'information engendré par les jonctions établies avec lui est primaire et sa mise en exergue n'est pas nécessaire. Ne percevant pas l'existence du système d'information, les jonctions avec les agents humains peuvent être assimilées aux jonctions mécanistes.
L’existence d’une organisation et celle du système d’information se co-fondent. B-ADSc définit alors un Système d'Information comme : toute organisation dans laquelle les articulations entre les différents agents (hommes, machines) sont des jonctions décisionnelles.

Le concept de système d’information présenté ici s’éloigne de la pratique dans laquelle le système d’information automatisé est censé offrir aux utilisateurs une "super" base de données dans laquelle chacun d'eux est susceptible de trouver ce dont il a besoin. L’impact sur l’organisation créé par l'introduction d'une telle base de données est souvent une préoccupation secondaire, considérée comme externe par rapport à la conception du système d'information proprement dit.

Si l'objectif des concepteurs des systèmes d'information automatisés est de fournir à chacun le maximum d'informations, celui des utilisateurs est d'avoir les informations nécessaires et suffisantes pour pouvoir gérer correctement et efficacement leurs activités. Cette demande des utilisateurs est traitée de façon disjointe par des méthodes qui tirent plutôt leur inspiration de la recherche opérationnelle. Les solutions proposées en sont les S.I.A.D. - Système Informatique d’Aide à la Décisions - vu comme additionnelles aux systèmes d’information.

Comme le souligne Renaud Edouard dans 01 Informatique du 28 février 2003 : « les solutions actuelles sont encore immatures. En outre, les outils collaboratifs, qui permettent de partager et de diffuser une stratégie commune suite au mailletage des tableaux de bord dans toutes les strates de l’entreprise, en tenant compte du rôle de chaque acteur, ne sont pas au rendez-vous. … il n’y a pas de langage pour modéliser ou décrire les flux, il n’y a pas d’outils de supervision (BAM - Business Activity Monitoring) … Pourtant les solutions décisionnelles, le BAM constitue le lien manquant entre les opérations au jour le jour (fonctions) et les objectifs de l’entreprise. »

Les échecs observés dans le domaine du système d’information mettent en évidence le fait que les modèles actuels ne tiennent pas assez compte du processus de prise de décision, lequel est pourtant l'essence même du fonctionnement d'une organisation. Il est dès lors évident que le système d'information ne peut être considéré comme artefact venant se greffer sur le système opérant mais qu'il devrait être conçu comme constituant une partie intégrante de l'organisation. C’est ce que propose B-ADSc.
/1/ Bucki, J., Pesqueux, Y. : "Pour un renouveau du concept de système d'information" - XI° journées des I.A.E., Economica - Paris 1992
/2/ Le Moigne J.L. : "Modélisation des Systèmes Complexes" - Dunod, Paris 1990
/3/ Reix R. : "L’impact organisationnel des nouvelles technologies de l’information" - Revue Française de Gestion n° 83 - janvier/février 1990